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werk, bauen + wohnen
6. April 2007 - Bruno Marchand, Habib Sayah
Saisissant et troublant sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on se trouve face à l’entrée couverte du Centre des Conférences Internationales de Genève (1968-1973), construit par André et Francis Gaillard et Alberto Camenzind et tout récemment transformé par Jean-Marc Anzevui et Nicolas Deville. Saisissant : un effet émanant de la force expressive de l’auvent triangulaire en béton armé dont le rebord supérieur, d’une épaisseur considérable, se redresse sur la pointe, accentuant ainsi la dynamique d’appel de l’entrée. Troublant : un sentiment provoqué par le déséquilibre apparent entre cette masse de poids et la fragilité des boîtes en verre posées sur le parvis d’entrée et qui semblent la tenir. Troublant enfin car, malgré certains signes distinctifs (comme justement le traitement de ces boîtes en verre), on ne distingue pas d’emblée le nouveau de l’ancien, on ne discerne pas tout de suite ce qui a véritablement changé dans ce bâtiment compact, à la matérialité « solide » et ocre constituée d’éléments préfabriqués en béton armé bouchardé teinté dans la masse avec de l’oxyde de fer.
En effet, les architectes ont résolument cherché à établir une continuité avec l’existant, dans une démarche projectuelle qu’ils qualifient finement de « germination », à l’image du développement d’un embryon contenu dans une graine ; tout en affichant un respect sans ambages pour les règles existantes, cette démarche n’en admet pas moins leur transgression, et c’est ce paradoxe qui nous a incités à effectuer des lectures différenciées de l’ouvrage afin de mieux cerner une transformation dont la signification demeure complexe.

Abstractions et matérialités

Toute transformation et extension d’un bâtiment historique pose une série de questions préalables aux prémisses du projet: de quelle manière peut-on tenir compte des caractéristiques urbaines et architecturales du bâti existant? Les nouvelles exigences fonctionnelles risquent-elles d’altérer ces caractéristiques ou, au contraire, peut-on maintenir la cohérence de l’existant? Doit-on travailler dans l’analogie ou plutôt distinguer clairement l’intervention à venir des parties anciennes?
Sur ce dernier point, les pratiques actuelles semblent se déployer vers de nouvelles rives, dépassant l’habituelle dualité entre opposition et mimétisme. Une troisième alternative se profile (certes moins évidente, mais en même temps plus subtile et innovante) basée sur l'hypothèse que le rapport à l'histoire est, avant tout, de nature conceptuelle et que l'expression de la contemporanéité du projet découle de la prise en compte d'un ensemble de paramètres (l’objet dans son contexte, les modes de fabrication, le rapport entre les matériaux, entre autres) et, par conséquent, ne se limite pas au seul discours esthétique et stylistique. Un nouveau rapport à l'objet historique s'installe, celui-ci étant considéré comme un « matériau » dont il s'agit de faire émerger, de façon abstraite, un certain nombre de composantes ou de principes majeurs qui constituent son identité et qui deviennent, à leur tour, l'essence même de la transformation.
Le projet de Anzevui & Deville s’inscrit donc dans cette mouvance : les architectes se donnent comme règle de prolonger la trame géométrique à 45° qui avait fondé le « parti en diagonale », recherché à l’origine pour sa capacité à exploiter la plus grande longueur du terrain afin de pouvoir disposer un programme conséquent et d’atteindre les profondeurs nécessaires au bon fonctionnement de la salle de conférences principale. Les nouveaux besoins programmatiques - comprenant la création d’une nouvelle entrée, d’espaces supplémentaires, de lieux polyvalents et la rénovation des distributions verticales - prennent ainsi place dans une stratégie globale de continuité qui génère, notamment, une nouvelle aile déployée vers le nord et l’est du bâtiment et couronnée par une bande en béton parfaitement accordée avec les parapets des balcons du premier étage ; cette stratégie induit aussi l’utilisation, pour les nouveaux éléments structurels, d’un même béton armé, traité avec des agrégats et une teinte identiques.

Introversions et ouvertures

Dans le traitement des piliers, un point fait pourtant ressortir la contemporanéité de l’intervention : la finition lisse, brute de décoffrage, qui remplace la texture rugueuse du bouchardage. Même exprimée de façon nuancée, cette altérité par rapport à l’œuvre originale revêt une certaine importante. En effet, la recherche de persistances spatiales et structurelles ne doit pas nous faire oublier que la transformation du bâtiment apporte aussi des changements significatifs, notamment en cherchant à redéfinir ses contours, en relation avec l’environnement dans lequel il se situe.
Une des caractéristiques marquantes de l’architecture de ce bâtiment était son degré d’introversion, malgré un déploiement en terrasses horizontales qui n’arrivait pourtant pas à engendrer une véritable relation entre l’extérieur et l’intérieur. Ce sentiment d’introversion - en pleine adéquation avec la nature du programme, constitué essentiellement de salles complètement fermées et prolongées sur leur pourtour par des salles de pas perdus – était en plus accentué par un travail en coupe qui plaçait le plan de référence du bâtiment à un niveau nettement plus bas que celui des rues adjacentes.
On descendait dans le bâtiment comme dans un intérieur « creusé » et dominé par de fortes masses minérales, l’enfouissement passant par une entrée couverte latéralisée et un peu dérobée, induite par la géométrie générale du bâtiment (qui rend difficile toute velléité de frontalité), et dont la libre disposition avait perdu de son sens au moment où la voie d’accès qui traversait le site en diagonale était devenue une impasse.
Par rapport à cette situation d’origine, le projet de rénovation cherche au contraire à établir des liens entre le bâtiment et son contexte et à créer toute une série d’ouvertures vers la lumière, vers la vue et, en dernier essor, vers la ville : tout d’abord en atténuant le franchissement entre l’intérieur et l’extérieur par l’abaissement du niveau des rues adjacentes au bâtiment ; ensuite, en attribuant une nouvelle façade entièrement vitrée au restaurant, longue de 80 mètres et traitée comme un pan de verre unitaire et sans relief, effet obtenu par le recours à la technologie du verre collé et par la position affleurée des portes ; enfin, en créant une esplanade extérieure et surtout en proposant un nouveau dispositif architectural pour l’entrée, couverte par un auvent sculptural qui se dresse maintenant face à la rue de Varembé. Un geste fort qui rehausse certainement une des qualités majeures de l’oeuvre originale – sa plasticité.

Plasticités

De formation beaux-arts et de tempérament artistique, André Gaillard est réputé pour son approche formelle de l’architecture, domaine où il excelle. Il n’est donc pas étonnant que le Centre International des Conférences ait donné lieu à des recherches plastiques poussées sur un volume contenu dans les limites d’un terrain restreint et dont le modelage infirme le caractère introverti déjà évoqué: les espaces sont en effet contenus par des enveloppes murales qui créent une stratification de bandes successives, séparées par des vides.
L’expression dominante est donc horizontale, juste contrebalancée par le rythme resserré et vertical des redents triangulaires à 45° qui entourent les quatre côtés du carré ; ce dispositif architectural « brutaliste » et plastique donne un relief à la façade tout en lui conférant des effets d’ombre et lumière. L’horizontalité engendrée par le jeu de parallélisme des masses en alternance avec des vides - dans la lignée de l’architecture wrightienne et de certaines réalisations contemporaines de Denys Lasdun - donne le sentiment que le bâtiment « fait partie du sol » et, d’autre part, qu’il tend à flotter, déjouant ainsi les forces de gravité et l’impression générale de masse et de poids.
Le thème des plaques en « lévitation » semble avoir été la source d’inspiration du travail plastique de l’auvent de l’entrée, conçue en collaboration étroite avec Andrea Bassi et Pierre Bonnet. Mais ce « tour de force » représente plus qu’un simple jeu formel : par sa géométrie triangulaire isocèle, l’auvent crée un contrepoint à la force du carré du bâtiment d’origine, un contrepoint nécessaire à l’équilibre des masses et à l’affirmation du dialogue nouveau-ancien ; d’autre part, sa forme nettement positive crée un point focal dans l’espace public, rehaussé par le traitement sculptural de l’auvent. Par sa force expressive cet élément confère une échelle collective et un statut de représentativité au parvis d’entrée : un nouvel équilibre dynamique entre l’intérieur et l’extérieur est ainsi atteint.

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Un des traits caractéristiques de ce bâtiment, qui n’a pas manqué d’éveiller l’attention d’un observateur privilégié comme Henri Stierlin , est sa flexibilité acquise à partir d’un haut degré de technicité, tel que le révèlent les parois et les podium escamotables s’abaissant dans le sol au moyen de vérins et qui permettent de regrouper les différentes salles en une seule, d’une capacité étonnante de 1800 places. Mais un autre point mérite ici d’être souligné : le Centre International de Conférences est truffé d’équipements électroniques et audiovisuels de pointe, dignes d’un bon roman policier traçant la période de la guerre froide, qui le connectent virtuellement avec le monde extérieur. C’est donc, dès le départ, un bâtiment « branché », qui préfigure tout à fait l’ère informatique que nous vivons actuellement.
L’intervention de Anzevui & Deville crée les conditions pour l’établissement d’une autre forme de connexion, celle-ci encore plus fondamentale pour tout type d’architecture : la relation au contexte et à la ville.

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